Prendre le thé, c’est avant tout une occasion de s'arrêter. Un moment dans lequel la rencontre, le plaisir et le partage priment avant tout. L’esprit du lieu ajoute à chaque fois une saveur toute particulière à l'aventure. Ces carnets veulent inciter au plaisir de la découverte et de l’amitié.

mercredi 26 janvier 2011

Thé glacé

"Mon pays, ce n'est pas un pays, c'est l'hiver" disait Vigneault.

Réaliste, il a vu juste, une fois de plus. Son pays, MON pays, c’est en même temps l’émerveillement du printemps, la douceur complice de l’été, l’odeur chaleureuse de l’automne, la splendeur de l’hiver. Quatre saisons à vivre, quatre saisons à savourer, quatre saisons à apprécier…

Là-dessus, la splendeur de l’hiver et toute sa puissance, elle est aujourd’hui, elle est ici et maintenant. Cet hiver cru, sec, « frette ». -25°C au thermomètre, environ -45°C perçu sur la peau si on y enlève le soupçon de chaleur que vient insidieusement subtiliser le noroît. Dimanche, 20h, l’heure où le monde s’arrête, l’heure où on se blottit sur le canapé, sous la couette ou devant le foyer. L’heure où deux joyeux lurons, attirés par le mystère du froid, tentent une expérience hautement scientifique :

« Combien de temps faut-il pour geler en une glace un thé fraîchement infusé?!? »

Ledit thé s’est prêté au jeu sans trop rechigner. Habits de circonstances et frontale ont complété l’attirail habituel dans cette épopée nous menant au pied de la croix St-Anne, à Chicoutimi-Nord. Belvédère au point de vue imprenable sur Chicoutimi qui nous dévoile sa plus belle robe sous les étoiles, point le plus élevé (et sans doute le plus froid!) du secteur. Le site idéal pour cette pause surréelle.

Protégée du vent par le socle de granit du monument, l’eau a tôt fait de bouillir tandis que nous découvrons et apprécions les lieux. Quiétude et violence s’y côtoient agréablement, entre la poésie de ce centre-ville figé se déployant à l’est et la brutalité de la bourrasque qui dévale le Saguenay depuis l’ouest. 5 minutes de plus sont nécessaires à l’infusion du breuvage, et l’opération « congélation » débute…

Pendant que nous nous empressons de boire une tasse qui tiédit à vue d’œil, deux gobelets d’étain remplis de thé bouillant ornent la base de la croix. Exposés à la convection de cette fraîche soirée de janvier, ils ne mettront qu’une douzaine de minutes à chuter de plus de 110°C, passant du point d’ébullition à une masse gelée…

Et nous voilà hébétés, surpris par l’efficacité et la rapidité de notre procédé de congélation… On devait s’arrêter, avoir le temps de prendre le temps, attendre que ça gêle! Tant pis. Cette pause que nous attendions, réfugiés sous le vent, pendant que s’envolait la chaleur du thé, nous la prenons, peu importe.

Après tout, l’hiver n’est-il pas beaucoup mieux que l’été?!? Il est toujours possible d’ajouter un ou deux vêtements qui nous permettront d’affronter la froidure. Il est beaucoup plus difficile d’enlever des vêtements d’un corps nu lorsqu’on subit la moiteur estivale. Voilà pourquoi je préfère les extremums de janvier à ceux de juillet! Et je ne parle même pas des mouches…

Et pourtant, sommes-nous seuls à vouloir apprécier cette période où la nature repousse nos limites, nous approchant un peu plus du pôle? La voisine envie sa belle-sœur qui ne vit plus que pour son prochain voyage au Mexique - la chanceuse! - tandis que la radio enchaîne les succès « caliente » d’Enrique Iglesias, dans un déni total de ce qui fait de nous ce que nous sommes.

« Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver »

Le refus global de 1948 était cru, critique. De la société qui y est décrite aura émergé le Québec d’aujourd’hui, plus libre, plus grand, plus fort. Il demeure pourtant, enraciné au plus creux de notre âme collective, un autre refus global, social qui mine notre société comme un mal intemporel et qui lui n’a pas bougé d’un iota : L’HIVER. Sinistre. Imperturbable. Implacable. L’ennemi hostile, à abattre. Pourtant. Il était ici bien avant nous. Et réchauffement climatique ou pas, il fera encore -30°C le 23 janvier 2146.

Moi-même choqué par l’arrivée de la saison fraîche, nostalgique de l’hémisphère sud où je m’étais réfugié il y a un an, j’ai eu la chance de comprendre les burkinabés qui n’arriveront jamais à s’y faire… Il m’aura ainsi fallu quelques semaines pour me réapproprier l’hiver, réapprendre mon pays. Troquant tour à tour mes espadrilles pour des bottillons, puis des Sorel, remplaçant le veston BCBG par une doudoune dont la beauté est inversement proportionnelle à l’isolation thermique, j’annonce aujourd’hui que j’ai retrouvé mon hiver. Et je l’aime. Voilà.

Ce popsicle au thé (qui par ailleurs aurait tiré avantage d’un soupçon de sucre…), savouré couché dans la neige et le froid, emmitouflés sous les étoiles nous aura fait vivre l’hiver plutôt que le subir. Assumons notre nordicité, tels les scandinaves, faisons des nordiques de nous-mêmes et prenons le temps d’apprécier cette saison, certes la plus froide, mais aussi la plus belle…

« Mon refrain ce n’est pas un refrain, c’est rafale
Mon chemin ce n’est pas un chemin, c’est la neige
Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver »

3 commentaires:

  1. Mercredi soir, au moment de mettre en ligne...

    Ce matin, il faisait -16C. Le même -16 que mercredi dernier. Mais ce matin, la radio louangeait cette météo soudainement clémente. Et la voisine ne rêvait plus du Mexique, elle souriait en mettant le nez dehors. "Ah, enfin, il fait bon".

    Sommes-nous amnésiques, un peu stupides ou bien simplement déprimants?!?

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  2. nous sommes relatifs...

    Bravo belles photos ! Je ne regrette pas de ne pas y être allée, mais quand même l'idée était excellente.

    Que diriez-vous du village sur glace en fin de semaine?

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  3. Désormais, moi je ne sors plus de la maison s'il fait plus chaud que -25...

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